Depuis le pays de son enfance, où il profite de vacances bien méritées, le coach franco-camerounais Eric Ngapeth a longuement évoqué pour RMC Sport l’histoire du volley au Cameroun, intimement liée à celle de sa famille. Le Cameroun, un pays que son fils Earvin rencontrera lors du prochain Championnat du monde (26 août – 11 septembre) avec l’équipe de France.
L’emblématique entraîneur franco-camerounais Eric Ngapeth (62 ans) a porté le maillot des Lions puis celui de l’équipe de France (220 sélections de 1982 à 1990) en tant que joueur. Le Cameroun étant tombé dans la même poule que les Bleus au Mondial (26 août – 11 septembre), le natif de Douala, plus ancien entraîneur français en activité, verra son fils Earvin, champion olympique à Tokyo en 2022 avec les Bleus, défier le pays de ses ancêtres sous le maillot de l’équipe de France. En vacances au Cameroun lorsque nous avons pris contact avec lui, le coach de Nancy, sous contrat jusqu’en 2025, en a profité pour faire le point sur le devenir de ce sport dans son pays d’origine, où il fait face à des difficultés structurelles.
Eric Ngapeth, est-ce une fierté pour votre fils Earvin de croiser en compétition le pays de ses ancêtres ?
Je pense. Earvin n’a pas vécu au Cameroun, mais il est resté très, très attaché à ses racines, ça doit certainement lui faire quelque chose.
Et vous ?
Moi, un peu moins. Parce que lui, il idéalise beaucoup de choses alors que moi je sais parfaitement quel est le niveau du Cameroun. Je sais parfaitement pourquoi cette équipe n’a pu passer une dimension. Ce sera une formalité et pas un événement particulier pour moi. La France n’a rien à craindre du Cameroun, car aujourd’hui le Cameroun est composé de joueurs qui, pour la plupart, évoluent dans des championnats de niveau moyen. Ils ne sont donc confrontés que très peu au haut niveau…
Ça c’est pour l’aspect purement sportif, mais qu’en est-il de votre attachement pour ce pays qui vous a vu naître ?
Franchement, j’ai un peu coupé le lien avec le Cameroun sur le plan du volley. Je suis presque plus derrière le Cameroun quand l’équipe de foot joue. J’étais volleyeur au Cameroun, j’ai joué pour le Cameroun, les choses ont beaucoup évolué. Les choses ne se passent pas très bien en ce qui concerne le volley de haut niveau. Je me suis un peu détaché du pays en ce qui concerne le volley. Je vois très bien ce que vous voulez dire, mais ça ne me marque pas comme ça.
Racontez-nous l’histoire du rapport qu’entretient votre famille avec le volley camerounais. Votre frère, Félix René Nganzeu Ngapeth, a été un dirigeant de la fédération camerounaise.
Il a même été capitaine de l’équipe nationale. C’est lui qui a montré cette voie. Il est malheureusement décédé il y a deux ans (le 11 août 2019, victime d’un AVC). C’est lui qui a montré cette voie-là parce qu’il était international camerounais très jeune. C’était le meilleur joueur camerounais à l’époque. Il a fait un autre choix pour la suite de sa carrière. Il s’est beaucoup plus orienté sur les études. Il est venu en France, il a joué encore un peu comme ça, mais c’était plus un loisir. Il a davantage orienté sa carrière sur Sup de Co Reims, puis il a eu l’occasion de revenir un peu dans le volley-ball. Curieusement, quand moi j’ai commencé à prendre une certaine dimension en tant que joueur, il a désiré prendre un peu les rênes de la fédération pour faire évoluer les choses. Il s’est bien sûr appuyé sur un certain nombre de conseils que je lui ai donnés par rapport aux frais de transfert, qui pourraient apporter une petite manne financière à la fédération, laquelle avait très peu de moyens pour développer ce sport. Il a apporté une manière de voir le sport de haut niveau. Il a lâché prise parce que les conditions pour entrevoir le développement d’une fédération sont extrêmement compliquées. D’ailleurs, on le voit avec Samuel Eto’o qui est une grande figure du football et qui a beaucoup de mal à faire bouger les choses. C’est un peu cette histoire qui a fait que mon frère n’a pas continué. J’ai commencé ma carrière, lui partait du Cameroun. J’avais onze, douze ans. C’est lui qui est à l’origine du tracé du terrain de volley-ball mythique du Cameroun dans le quartier Messa, à Yaoundé (capitale du Cameroun).
Justement, cette fameuse pépinière du volley camerounais, parlons-en.
Le terrain se trouve dans une banlieue très proche du centre ville de Yaoundé, sur lequel se déroulent encore des matchs du championnat du Cameroun. C’était un terrain vague qui se situait au milieu d’un lotissement. Il était prévu d’en faire une aire de jeu qui pouvait être un terrain de basket, de volley ou de handball. Il s’avère qu’étant l’un des premiers locataires de l’une des maisons de cette zone, mon frère s’est précipité en compagnie de deux ou trois de ses potes avec qui il jouait au volley pour s’imposer et tracer le terrain de volley, avec les trous pour mettre les poteaux. C’est comme ça que ce terrain a été destiné au volley-ball et a formé la plupart des joueurs du pays. La maison la plus proche de ce terrain était la maison de ma mère. A partir de la fenêtre de sa chambre, elle avait une vue superbe sur le terrain de volley. C’était l’occasion aussi pour elle de crier lorsque je devais rentrer à la maison quand j’étais tout petit et que je commençais ce sport. C’est vraiment le fief du volley camerounais.
Le Cameroun regorge de joueurs talentueux mais il n’a pas forcément les moyens humains, matériels et financiers pour mettre en œuvre ses ambitions. Êtes-vous d’accord avec ce constat ?
Je pense que le problème du Cameroun est beaucoup plus profond. En termes de talent, toutes disciplines confondues, il y a vraiment un potentiel énorme dans ce pays, même au-delà du sport. C’est souvent un problème de gouvernance. Les moyens qui sont alloués au développement du sport ne vont pas dans ce qui est essentiel. Le deuxième problème que j’estime extrêmement important, c’est qu’en termes de formation de cadres d’entraîneurs il faudrait qu’on mette quelque chose sur pied pour que les entraîneurs soient très performants, de manière à ce qu’il y ait développement des fondamentaux, des bases qui peuvent amener les jeunes à devenir des joueurs de très, très haut niveau. Il y a beaucoup de volonté, énormément de volonté. Il y a énormément de centres de formation qui sortent un peu partout dans le pays. Ce sont des entreprises individuelles, les gens créent avec leurs propres moyens, mais ils ne sont pas aidés parce qu’ils manquent de formateurs pour les aider à travailler sur les jeunes.
La fédération camerounaise pourrait-elle travailler avec d’autres fédérations et bénéficier d’un échange de compétences ?
On pourrait l’imaginer. Je ne sais pas quel est l’état d’esprit du président de la fédération camerounaise (Julien Serge Abouem) aujourd’hui. Je sais qu’il fait beaucoup de choses. Il a mis sur pied des championnats de jeunes qui n’existaient pas auparavant. Il fait beaucoup de choses. Mais je pense qu’il y a effectivement un cap qu’il faudrait qu’il passe, c’est cette collaboration avec toutes les compétences du pays et les compétences d’autres pays, de manière à pouvoir développer des joueurs de niveau mondial. Il y a beaucoup de joueurs corrects, mais il n’y a plus de très grands joueurs camerounais.
D’une année sur l’autre, les conditions d’entraînement sont aussi parfois très différentes en termes de logistique et de matériel mis à disposition de la sélection pour préparer une compétition. N’est-ce pas un problème ?
C’est certain et puis d’autre part, on voit très bien ce qui se passe sur le plan mondial. Les grandes nations ont des joueurs qui évoluent dans les championnats les plus forts. Il ne faut pas rêver. Il faudrait plutôt qu’on axe sur la formation de nos joueurs de manière à ce qu’on ait à nouveau des joueurs jeunes de 15, 16, 17 ans qui ont des qualités pour pouvoir s’adapter rapidement au sport de haut niveau dans d’autres clubs, d’autres pays du volley. Il faut fabriquer des joueurs qui puissent évoluer dans les plus grands clubs européens et après ça on pourra prétendre avoir une équipe nationale suffisamment forte pour que très peu de stages organisés l’été suffisent à performer sur le plan international. Ce ne sont pas les stages de préparation qui vont permettre à l’équipe du Cameroun d’avoir des résultats. C’est le fait d’avoir des joueurs de très haut niveau, qui évoluent dans des clubs européens qui va faire en sorte que très peu de semaines de préparation, comme c’est le cas pour beaucoup de nations aujourd’hui, suffiront à mettre des choses en place pour avoir des résultats sur le plan mondial. Si on prend l’équipe de France aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’ils vont faire plus de stages l’été qu’ils vont avoir des résultats. Ce sont des joueurs de très haut niveau. Il leur faut quelques matches amicaux et ils seront prêts pour les championnats du monde.
Les lacunes techniques des joueurs camerounais sont-elles trop importantes pour exister au très haut niveau international ?
Très importantes. Premier et deuxième contact, on est très loin du haut niveau. Or, aujourd’hui, sans réception, avec la qualité de service sur le plan mondial, c’est impossible de jouer. Après, quand on parle du filet, l’attaque ça va, mais le bloc ça ne va pas du tout. On ne bloque pas simplement parce qu’on est haut, on bloque aussi parce qu’on a des techniques de bloc qui sont tout à fait au point, des lectures de bloc qui sont tout à fait au point. Et qui vont faire en sorte que l’équipe va avoir un système bloc-défense performant. Si la France gagne aujourd’hui, c’est parce qu’en service-réception, elle est très, très forte. Et puis, surtout, dans le jeu de transition, défense et organisation offensive, ils sont parfaits. C’est pour ça qu’ils gagnent. Je pense aussi que sur le plan technique, ce sont les meilleurs.
Le sélectionneur, Guy-Roger Nanga, semble travailler sur ces aspects technico-tactique qui font aujourd’hui défaut à la sélection camerounaise. Quelles sont ses chances de réussite ?
C’est un ancien joueur qui a joué à un bon niveau, il sait ce que c’est. Alors, maintenant, le gros dilemme est le suivant: aura-t-on le temps de combler toutes ces lacunes des joueurs camerounais, qui évoluent dans des clubs faibles, de niveau moyen ? Aura-t-on le temps de mettre toutes ces stratégies en place ? Je ne sais pas si cela sera suffisant. Il fera du mieux qu’il peut. Mais avec beaucoup de recul, on peut penser que les résultats très satisfaisants seront très durs à avoir. On ne peut pas faire de joueurs qui évoluent en Arabie Saoudite, en Pro B… Quand ils vont se confronter à l’Allemagne… Et même la Slovénie ! C’est un petit pays par la taille, mais quand on voit le nombre de joueurs qu’ils ont et les clubs dans lesquels ces joueurs évoluent, pour moi ce sera une boucherie. Le Cameroun ne peut pas rivaliser à ce niveau-là. Le sélectionneur va faire ce qu’il pourra, mais il va travailler le bloc-défense avec des joueurs qui ne savent pas très bien se placer au niveau du bloc et qui vont devoir travailler pendant plusieurs mois. Il faut y croire parce que ça va évoluer petit à petit, c’est vrai. Mais les lacunes de cette génération sont tellement profondes aujourd’hui qu’il faut plutôt penser aux générations avec lesquelles on pourra pallier ces défaillances très tôt dans leur âge.
Quelle est la plus grande génération du volley camerounais, selon vous ? On peut citer des joueurs comme Jacques Yoko, Elysée Ossosso…
C’est une grande génération. La deuxième. Car il y a eu d’autres joueurs avant eux, comme Charles Bowen, Balass des joueurs qui ont été très, très bons, des joueurs qui auraient pu faire carrière en Europe. Parce qu’ils étaient issus de l’école Charlie Tchikanda. C’est le premier entraîneur qui a pensé à faire la formation de jeunes joueurs, dont je suis issu d’ailleurs. C’est le premier entraîneur qui a commencé à faire des écoles de volley, à former des joueurs au niveau des bases techniques. Et ça a produit un certain nombre de joueurs. Vous en avez cité quelques-uns qui ont pu évoluer en France à un bon niveau. Jacques Yoko en est la parfaite illustration. Un joueur comme Essosso qui a joué un peu à l’AS Cannes, en Pro A et en Pro B. C’est à cette époque que l’équipe du Cameroun pouvait envisager des résultats au niveau africain et au niveau mondial: passer un tour aux Mondiaux par exemple. Ce sont les objectifs qu’ils peuvent viser aujourd’hui, mais pas plus.
Vous estimez que Nathan Wounembaina (37 ans, réceptionneur-attaquant de Chaumont, ex-Tours, Vérone…), aurait pu viser plus haut avec une meilleure formation dans sa jeunesse. Expliquez-nous.
Quand vous regardez la physionomie des joueurs de très haut niveau à l’âge de 18-19 ans ils jouent déjà dans des très grands clubs, c’est imparable. Des joueurs comme Kaziyski (réceptionneur-attaquant, Bulgarie), Juantorena (réceptionneur-attaquant, Italie), à 18 ans ils jouent dans des grands clubs. Quand ils arrivent à 26-27 ans, ils ont déjà 7 à 8 ans d’expérience au très haut niveau. Nathan arrive au très haut niveau à 32-33 ans. Ce n’est pas possible. C’est former les joueurs à avoir des qualités physiques et techniques adaptables au très haut niveau, très rapidement dans l’âge. A 15 ou 16 ans, il faut les avoir. Si on ne les a pas à cet âge, c’est terminé. On va être un bon joueur, il n’y a pas de souci, mais un joueur de niveau mondial, non. Regardez un joueur comme Leal (Brésil). A 18 ans, c’était un animal. Simon (Cuba) aussi. Prenez les 100 meilleurs joueurs mondiaux. Pour pouvoir envisager de rivaliser avec les pays dont ils sont les ressortissants, il faut que votre propre pays se rapproche du niveau de ces joueurs à 15-16 ans. Il faut des cadres techniques qui soient suffisamment compétents et forts pour apporter les bases suffisantes. Peut-être faut-il aussi offrir la possibilité aux sélections jeunes de se confronter aux jeunes d’autres pays. Les joueurs qui forment les équipes attendues aux Mondiaux cet été, s’affrontent depuis les catégories cadets. Earvin a joué contre Atanasijevic, contre Nimir.
Un des problèmes du Cameroun n’est-il pas que trop de joueurs et de joueuses arrivent au volley sur le tard ?
Les filles du Cameroun ont été triples championnes d’Afrique avec une génération exceptionnelle. Le problème principal, c’est qu’elles jouent depuis longtemps et entretiennent des lacunes depuis tout ce temps. Qu’est-ce qui a sauvé le Cameroun pour les trois titres consécutifs ? Le fait qu’elles sont sorties assez tôt du pays, à 22-23-24 ans. Le Kenya dominait le volley africain, puis l’Egypte après lui, mais le Cameroun leur est passé devant car toutes les Camerounaises évoluaient dans un championnat beaucoup plus fort que celui dans lequel évoluent les Kényanes qui ne sortent pas beaucoup, les Egyptiennes qui n’ont pas le droit de sortir, les Tunisiennes pour lesquelles il est aussi très compliqué de sortir etc, etc… C’est pour cela que les Camerounaises ont dominé. Certaines joueuses majeures ont arrêté, aussi parce que trop peu de moyens sont mis pour la préparation. Il y a des problèmes de corruption. C’est pour ça qu’elles veulent arrêter, les filles. Elles s’aperçoivent que les primes qui leur sont réservées ne sont pas données. Elles finissent par arrêter. Mais ces filles-là évoluaient pratiquement toutes dans un championnat qui est structur
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